Cartel, nom
masculin : « escrit qu’on envoye à quelqu’un pour le deffier à un
combat singulier, soit pour des tournois, soit pour un duel formé » nous
dit Antoine Furetière.[1]
Telle est, à
l’origine, la définition de ce substantif
que je retrouve par hasard dans le titre de certains poèmes de Melin de
Saint-Gelais (1487-1558)[2] :
-
Cartel de la part d’Amour à Messeigneurs
d’Anghien et Prince de la Roche-sur-Yon
-
Cartel pour une Partie d’Armes
-
Réponse au Cartel des Ennemis d’Amour.
S’agit-il là d’une forme particulière de poème ?
En fouillant un peu je retrouve la trace du cartel poétique
chez Philippe Desportes (1546-1606) dans un ouvrage justement intitulé :
« Cartels et Masquerades, Epitaphes[3]
mais aussi chez Pierre de Ronsard (1524-1585) dans l’ouvrage de Daniel Ménager[4]
qui écrit : « quand Ronsard constitue « Le Bocage Royal » pour l’édition de 1584, les poèmes
écrits pour des fêtes (cartels,
églogues, mascarades) s’ajoutent aux poèmes écrits pour les rois et
forment avec eux le tome V » (et dans l’étude de Paul Laumonier :
Ronsard poète Lyrique[5]
comme dans celle de Michel Dassonville[6]
qui rapporte « Et, de 1564 à 1570, le roi ( ou la reine-mère) « ne
faisoit « partie » où il « ne voulut qu’elle fust joué sans
Ronsard ». Présent ou absent, il fut de toutes les fêtes, écrivant cartels et
mascarades»).
De cartels il est aussi question chez François Maynard
(1582-1646), élève de Malherbe , ainsi dans le « Tableau
chronologique des lettres du poète François Mainard[7] »,
je note : « Dix compagnies de chevaliers relevèrent le défi des
« tenants du château de la Félicité » et, après avoir prononcé force
cartels en prose et en vers, coururent la quintaine et la bague. »
Les caractéristiques du cartel poétique se dessinent
maintenant précisément. Deux textes supplémentaires viennent les confirmer.
Le premier est un travail de musicologie coordonné par
Georgie Durosoir[8] dont
j’extrait ces lignes :
« En effet, les poèmes composés pour les fêtes de cours
– mascarades, carrousel, ballets, cartels – étaient pour la plupart commandés
aux poètes : certains d’entre eux étaient réputés au moment où l’on
faisait appel à eux, d’autres trouvaient dans ces commandes l’occasion de se
faire connaître auprès d’un public choisi et susceptible d’apprécier les
compétences ainsi exposées. »
Le second est tiré de la thèse de
Madame Adeline Lionetto, « La lyre et le masque.
La poésie des fêtes du maniérisme à l’âge baroque (1549-1583) [9]»
dont je reproduis ci-dessous le résumé :
« Vestiges de magnificences réputées diaprées, les vers produits à
l’occasion des fêtes de cour de la seconde moitié du XVIe siècle ont longtemps
été considérés comme des objets littéraires dépourvus de tout intérêt. Et
pourtant la génération de la Pléiade, bien plus connue aujourd’hui pour ses
recueils poétiques devenus classiques, a aussi été à l’origine d’une poésie
impromptue qui a donné au poète un rôle fondamental de maître des plaisirs de
la cour. Non content de rester à
son pupitre ou dans sa « librairie », le poète devait prendre en charge la mise en scène de ses compositions, jouer parfois le rôle de l’un des personnages et travailler en collaboration avec
d’autres artistes, d’une manière non plus solitaire mais tout à fait collégiale. Sa poésie non seulement agrémente la fête mais la colore, la suscite et la structure : des vers chantés aux vers gravés dans les décors ou encore sur des petits billets tombant en cascade sur le monarque au moment de son arrivée, la poésie est omniprésente dans la fête dont elle se fait, à divers niveaux, la « légende ». Contribuant à dramatiser et à sacraliser l’histoire de France, cette poésie se développe en outre sur l’esthétique des merveilles qui caractérise les fêtes de cette époque. Enfin les genres poétiques qui y apparaissent (mascarades, momeries, cartels, etc.) s’influencent alors les uns les autres et se développent au carrefour de multiples pratiques poétiques. »
son pupitre ou dans sa « librairie », le poète devait prendre en charge la mise en scène de ses compositions, jouer parfois le rôle de l’un des personnages et travailler en collaboration avec
d’autres artistes, d’une manière non plus solitaire mais tout à fait collégiale. Sa poésie non seulement agrémente la fête mais la colore, la suscite et la structure : des vers chantés aux vers gravés dans les décors ou encore sur des petits billets tombant en cascade sur le monarque au moment de son arrivée, la poésie est omniprésente dans la fête dont elle se fait, à divers niveaux, la « légende ». Contribuant à dramatiser et à sacraliser l’histoire de France, cette poésie se développe en outre sur l’esthétique des merveilles qui caractérise les fêtes de cette époque. Enfin les genres poétiques qui y apparaissent (mascarades, momeries, cartels, etc.) s’influencent alors les uns les autres et se développent au carrefour de multiples pratiques poétiques. »
Ces éléments permettent de définir le « cartel poétique » comme
un genre poétique au service d’un argument
théâtral développé dans le cadre d’une fête et dans lequel il s’agit de
reproduire la forme du cartel de duel, ce texte qu’un des protagonistes d’un
différend adresse à l’autre pour formaliser sa provocation en duel, mais cette
fois dans le cadre d’une confrontation littéraire
ou philosophique qui fournit le thème du spectacle.
Le cartel poétique ne possède pas de forme définie, les trois cartels de
Mellin de Saint-Gelais cités plus haut comptent respectivement, 34, 34 et 72
vers et sont constitués de décasyllabes à rimes plates, tandis que celui que
Desportes à la page 34 de l’ouvrage « Cartels et Masquerades,
Epitaphes »[10], se compose de 44
alexandrins également à rimes plates. Nous avons de surcroît appris de Maynard
que ce cartel « festif » peut même être écrit en prose[11].
Cette forme de poésie « de circonstance » en fait forcément
évoquer une autre, bien plus ancienne, et qui fut développé par les troubadours
de langue d’oc :
-
Le tenson qui réalise un débat entre troubadours sur un sujet au choix,
sans limitation du nombre d’intervenants, les demandes et les réponses
s’effectuant de couplet en couplet
-
Le partimen ou joc-partit ou jeu-parti des trouvères de langue d’oïl dans
lequel l’un des deux intervenants donne le choix à son interlocuteur entre deux
points de vue opposés à défendre et s’empare de celui qui reste pour un duel
rimé[12].
Mais des uns comme des autres plus rien ne subsiste dans la poétique
d’aujourd’hui.
***
[1] Le
Dictionnaire Universel de Furetière. Réédition SNL-Le Robert. 1978.
[2] Œuvres
Complètes de Melin de Sainct-Gelays. Paul Daffis Editeur. 1873. Pages 151-158.
[3] Cartels
et Masquerades, Epitaphes. Philippe Desportes. Textes Littéraires Français.
Publié par Victor E. Graham. Droz-Minard. 1958.
[4]
Ronsard : le roi, le poète et les hommes. Daniel Ménager. Droz. 1979. Page
320.
[5] Ronsard
pète lyrique : étude historique et littéraire. Paul Laumonier. Hachette.
1909. Pages 743 et 744.
[6]
Ronsard : étude historique et littéraire. Un brasier sous la cendre.
Michel Dassonville. Droz. 1990. Volume V. Page 93.
[7] Tableau
chronologique des lettres du poète François Mainard. Charles Droulet. Champion.
1909. Page 176.
[8] Poésie,
musique et société : l’air de cour en France au XVIII è siècle. Georgie
Durosoir. Musique/Musicologie. Mardage. 2006. Page 96.
[9] La Lyre
et le masque. La poésie des fêtes du maniérisme à l’âge baroque (1549-1583).
Thése de Mme. Adeline Lionetto. Centre
de recherche sur la création littéraire en France à la Renaissance. Université
Paris-Sorbonne. 2004.
[10] Op.
cit., voir note 3.
[11] Op.
cit., voir note 7.
[12]
Anthologie des Troubadours. Bibliothèque Médiévale.10/18. 1979.
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