samedi 4 octobre 2014

Etude du poète belge Roger DE LEVAL (1906-1936).




De ce poète dont je ne suis pas parvenu à savoir plus que sa nationalité (belge) sa date de naissance (1906) et celle de son décès (1936) par suicide, je possède aujourd’hui, en sus des poèmes de l’exemplaire de janvier 1924 de la probablement très éphémère revue « VA ! » qui me l’a fait découvrir :
             son recueil de 1923 « l’Autre Rive » édité, sans doute à compte d’auteur, aux éditions de « la Vie intellectuelle »,
             et celui de 1928 « ARMILLAIRE » édité « A l’enseigne de l’oiseau Bleu » et préfacé par Philippe SOUPAULT,
soit en tout 47 poèmes.

Le premier des deux poèmes de la revue « VA ! » Se nomme « Livre », je le retranscris ci-dessous, le second, « Le Poète Fou » figure dans mon précédent billet[i].
Ils présentent tous les deux le même style que celui que l’on retrouve dans la première publication de Roger DE LEVAL ce qui est cohérent avec les dates de publication de ces différents textes.

« Les Livres. »

J’ai lu ce soir beaucoup de livres
Comme j’en ai lu d’autres soirs,
Des soirs où j’ai cessé de vivre
Ma vie–des soirs ou mes espoirs

Firent place aux espoirs des autres
Qui vivaient aux pages des livres :
Je fus même le bon apôtre,
Je dis comment il fallait vivre…

Et puis, j’ai tourné d’autres pages
Et je souffris du mal d’aimer…
Puis je fus le jeune homme sage,
Puis je me suis empoisonné…

J’eus de grands titubements ivres ;
J’ai senti la joie du néant,
De s’immobiliser et vivre…
Et je fus moi-même un instant.

Et puis j’ouvris un nouveau livre.

                ***

À titre d’exemple, voici, tirés de ce premier recueil de Roger DE LEVAL :

« Attente. »

La longueur des heures d’attente
Dans les gares et par le froid !
On perd conscience du « moi »
Dans les longues heures d’attente.

Toujours, le train a du retard,
Qu’il soit de fer ou fait de gloire !
L’hiver est froid, la gare est noire,
Toujours le train a du retard.

On est parfois si las d’attendre
-Peut-être ne viendra-t-il pas-
Et, mélancolique, on s’en va…
On est parfois si las attendre.

Et l’on s’en va vers l’inconnu
Des existences monotones…
Et souffreteux que rien n’étonne,
On s’en va seul vers l’inconnu.

Le train est là. –La gare est vide.
La gloire est venue à la mort ;
Pourquoi pleurer ? Voilà le sort !
Le train est là ; la gare est vide.

                ***

« L’horloge. »

L’horloge ânonne,
                monotone,
                sa chanson.

Sans raison.

Du jour au soir,
Sur le vieux cadran noir,
Elle ânonne ses espoirs…

                Sans raison…

                Sans raison.

                ***

« Le Pin. »

J’ai fait planter un pin à l’ombre de mon toit.
Je regarde pousser dans ses rugueuses branches
Le bois dont on fera les hermétiques planches
De mon cercueil de bois de pin : mon dernier toit.

Je regarde pousser le pin dans la lumière.
Plus tard il me dira la chaleur du soleil,
Le souffle de la mer et le printemps vermeil,
Quand mes yeux se seront fermés à la lumière.

Il dira la langueur de l’azur vers midi,
Le toit qui se penchait pour lui donner de l’ombre,
Les volets clos, le vert gazon, les fleurs sans nombre,
Il versera sur moi le soleil de midi.

Il parlera de mon travail ; des espérances
Que je conçus en m’appuyant à son tronc noir,
Et la force du jour et la fraîcheur des soirs.
Mon cercueil sera plein de vieilles espérances.

                ***

Dans « Armillaire », second recueil du poète, les textes de « Matinées » qui rassemble cinq poèmes manifestement adressés à une maîtresse ou à une épouse sont d’une écriture assez proche de celle des poèmes du premier recueil.
On n’en jugera avec le second de ces cinq que je transcris ci-dessous :

Patine longuement sur les canaux gelés
avec des gestes sains, avec une joie saine
vers l’âcre et pure odeur de sel du Zuiderzee
                chère aventure urbaine.

Le froid t’a préparé le chemin de la mer :
les moulins doucement t’accueillent sous leurs ailes,
les patins ton muni de leurs charmes d’hiver
                ô mon ange rebelle.

Les timbres sont collés sur tes lettres d’amour
où tour à tour ton cœur et tes désirs s’expriment
tous deux se rencontrant aux mêmes carrefours
                en joutes anonymes.

Laisse-les, laisse-les ! Et poursuis ton chemin :
les timbres se perdront, tu resteras austère,
les présents les plus lourds tomberont de tes mains
                et te rendront légère.

Tous mes printemps passés me travaillent l’esprit
quand je te vois pour moi changer tes attitudes
te dépouiller de ton passé, de tes soucis
                et de tes habitudes.

Tes vêtements d’hier sur lesquels il neigea
ne reconnaîtront plus la courbe de tes formes
tu n’as que pressenti des brises et déjà
                tes souvenirs s’endorment.

                ***

« Or » est différent, plus « allusif »,-plus hermétique ?-

Or jaune, or blanc, or rouge, or vert
la vie est une mine d’or
sur quoi neigent beaucoup d’hiver.

Beaucoup de mineurs y sont morts,
déjà remplacés dans la mine
vers quoi tendent d’autres encore.

Pépite, métal que l’on devine
comme une veine dans la peau
et le Pyrée à Salamine.

Et le sens caché dans les mots :
dans les étoiles des deux ours
Il faut trouver deux animaux.

Messieurs ! la vie est une source
D’or : Le travail, l’espoir, l’amour.
(Le cœur a-t-il valeur en bourse ?)

La mine a beaucoup de détours
les sentiments n’ont pas d’experts
Et l’homme change tous les jours…

Or blanc, or jaune, or rouge, or vert.

                ***                                       Note : le second vers de la troisième strophe est en fait écrit dans le recueil : « Pépite, métal qui on devine »… ce qui constitue vraisemblablement une erreur typographique qui a échappé à l’auteur et que je me suis permis de corriger comme ci-dessus. J’ai par ailleurs conservé au nom « Pirée » la graphie qu’il présente dans le texte d’origine.

De même, « X égale zéro » ou « Muriel », que l’on en juge ci-dessous :

« X égale zéro. »

Cueillons les fruits quand ils sont verts
Et dans d’artificielles serres
« Le soleil à travers le verre
Supprime l’être de l’hiver.

Et dans d’artificielles serres
Faisons mûrir avant le temps
Comme de blonds adolescents
Les citrons à l’écorce amère.

Les oranges des rêves d’or,
-Rondes pommes des Hespérides-
Et par la chaleur trop morbide
Éloignons les barques des ports.

Changement de température,
Nos poumons oppressés, halètent :
Nous sommes comme les poètes,
Mal adaptés à la nature.

Esclaves celtes à Byzance,
Gaulois vendus aux marchés Thraces,
Double hermétisme de deux races,
Orientaux perdus en France.

Angles aigus des autres « moi »
Mal adaptés autour de nous :
Les fruits qui mûrissent en Août,
Pour nous seraient mûrs d’autres mois ?

***       

« Muriel. »

Les arbres dépouillés du bruit des avenues,
-Dont tu ne trouvais pas le feuillage assez frais-
J’y cherchais des leçons que tu n’as jamais sues
Malgré ton nom mouillé comme un brouillard anglais.

Tu ne changeais jamais de cœur ni de visage
Et tu savais pourtant que je fais alterner
Sur du papier trop blanc, dans un cadre trop sage,
Les jours rouges et noirs de mon calendrier.

Mon buvard que noircit l’empreinte de mes lettres
Tu n’en regardais pas l’envers dans une glace
Mais tu suivais des yeux en ouvrant la fenêtre
Les oiseaux envolés vers d’ardentes terrasses.

Il te manquait l’esprit qui m’aurait fait t’élire :
Lorsque tu m’as quitté comme un alinéa
Tu n’as pas su trouver les mots qu’il fallait dire :
« Nous nous retrouverons sur le Niagara… »

Tu n’as pas emporté les cartes Javanaises
Où les danseuses ondulaient sous les bijoux…
Tu n’as pas assoupli ton cœur sur un trapèze ;
Tu n’as jamais aimé les plaisirs de deux sous.

                ***

Ces derniers textes adoptent un style plus proche du surréalisme. D’où cette préface d’Armillaire demandée à Philippe SOUPAULT ?

Philippe SOUPAULT (1897-1990), qui est d’abord l’ami d’Apollinaire avant de devenir, grâce justement à Apollinaire qui les présente l’un à l’autre, l’ami de BRETON et de fonder avec celui-ci et ARAGON, la revue « LITTÉRATURE » et le mouvement du surréalisme.
Mais le surréalisme de DE LEVAL demeure très discret, la versification, le rythme sont conservés et seules quelques touches, quelques nuances ici ou là le font évoquer ainsi, de manière assez nette, dans les deux dernières strophes de « Muriel ».

Les premiers poèmes que DE LEVAL publie ont été écrits à l’âge de 16 ans (en 1922). Quels sont les poètes que ce jeune homme peut alors admirer et chercher à suivre ?
Les trois plus importants : VERLAINE (1844-1896), RIMBAUD (1854-1891), surtout peut-être pour un écrivain d’origine belge, et APOLLINAIRE (1880-1918, « Alcools » datent de 1913) vous viennent tout de suite à l’esprit. Il faut cependant leur ajouter un quatrième qui ne peut qu’avoir été très familier à Roger DE LEVAL : Émile VERHAEREN. Quant à ARAGON (1897 ?-1982), ses premières amours en matière de poésie, les seules que par sa courte existence, DE LEVAL ait pu avoir sous les yeux, l’éloignent, comme nous le verrons, des choix de notre poète.

Émile VERHAEREN, né en 1855 près d’Anvers est décédé accidentellement (écrasé par un train en gare de Rouen) en 1916.
Émile VERHAEREN, ce poète merveilleux, que j’ai redécouvert un jour en lisant des extraits de « Toute la Flandre »[ii] dans un volume des « Classique Larousse » dont les notes avaient été rédigées par un professeur émérite à l’université de Liège, Monsieur Michel PIRON. Un nom qui ne m’était pas inconnu puisque c’est celui du dédicataire de l’exemplaire d’« Armillaire » de Roger DE LEVAL que je possède… Compte tenu des 57 années qui séparent l’écriture de cette dédicace des notes rédigées par Monsieur PIRON pour ce fascicule Larousse, il ne s’agit sans doute là que d’une coïncidence de nom. Étonnante néanmoins.
Mais il n’est en effet que de se donner la peine de lire pour trouver des éléments qui accréditent la thèse d’une influence d’Emile VERHAEREN sur Roger DE LEVAL.

Ne prenons peut-être pas en exemple la communauté de sujets–de préoccupations ?–que pourrait faire évoquer l’existence de « L’horloge » dans « L’autre Rive » et « Les Horloges » dans « Poèmes, Nouvelle Série : Les Bords de la Route » d’Émile VERHAEREN[iii].
Les techniques très différentes de versifications qui sont employées le sont, de surcroît, au service d’images bien plus développées chez Émile VERHAEREN que chez Roger DE LEVAL, quoique le fond n’en soit pas plus optimiste chez l’un comme chez l’autre.

Par sa technique , une succession de distiques, «Litanie » page 26 de « L’autre Rive » rappelle « Un Toit là-bas » de « Toute la Flandre », poème composé également et essentiellement de la succession de distiques.
Mais il y a plus, la série sonore qu’évoque DE LEVAL dans « Litanie » :

« Oh le bruit ! Oh le bruit de pas sur le trottoir…
Oh le bruit du dehors qui vient heurter mon rêve…
Oh le bruit ! Oh le bruit de tout ce qui n’est plus…
Oh le bruit ! Oh le bruit que l’on fait dans la rue… »

fait écho à celle de « Un Toit là-bas » :

 «… La meute innombrable des vents
Aboie, autour des seuils et des auvents ; »…
« Et récitant à bras lassés, chaque antienne,
Cahin–caha des besognes quotidiennes. »

« Hélas ! La pauvre vie, au fond du vieil hiver,
Lorsque la dune crie, et hurle avec la mer, »…

On sait combien Émile VERHAEREN  fut inspiré par la vie régionale et le modernisme. Ce thème de la vie régionale est également illustré chez Roger DE LEVAL par exemple dans le second texte de « Matinées » page 14 de son volume « Armillaire » :

« Patine longuement sur les canaux gelés
avec des gestes sains, avec une joie saine
vers l’âcre et pure odeur de sel du Zuiderzee
                chère aventure urbaine. »

Mais également dans « Les Vieux » page 12 de « L’autre Rive » avec cette description de « vieilles dévotes » assistant aux « Saint office » ou « L’heure du Thé » page 30 qui rend toute la chaleur d’un intérieur du « Nord », ou encore « La Glace », page 33 où l’on retrouve confrontées l’inéluctable évolution du temps qui passe à la stabilité du foyer au travers d’un objet symbolique, enfin dans « La maison dont on vient d’enlever les tapis », page 38, où la minutieuse description d’un intérieur évoque une peinture flamande.

Quant à la retranscription de l’âge « moderne » elle apparaît également chez DE LEVAL par exemple dans ce texte  « d’Armillaire » : « Or » page 24 de ce volume dont nous extrayons un vers emblématique :

«… Le cœur a-t-il valeur en bourse ?… ».

Et de même dans « Sous Terre » page 15 de « L’autre Rive » où l’auteur évoque la mine à l’aide des distiques également utilisés par VERHAEREN et dans « Douleur » page 43 qui évoque en partie la misère ouvrière.

Il n’est pas jusqu’à la maladie qui ne puisse être source d’inspiration pour Roger DE LEVAL comme pour Émile VERHAEREN ainsi dans « Convalescence » page 35 « d’Armillaire » :

« Le convalescent brun qui n’était pas épris
Songeait confusément à sa tuberculose… »

à rapprocher de ces vers d’Émile VERHAEREN dans « Les Tendresses Premières : Les Pas »[iv] :

« Et quand la fièvre ameute en moi, la nuit,
Les troubles visions de ma cervelle lasse,… ».

Proximité d’inspiration donc, mais également proximité technique que ne résume pas l’usage des distique mais que l’on retrouve avec le choix de vers hétérométriques et la variation de longueur des strophes par exemple dans « Pour J M » page 27 « d’Armillaire » et chez VERHAEREN dans « La Vieille Demoiselle »[v], quoique de manière plus accentuée dans ce dernier cas.

Et, me direz-vous, qu’en est-il de l’influence que pourrait avoir eu sur ce jeune poète, des grandes figures tutélaires du siècle précédent : HUGO, BAUDELAIRE, NERVAL même ?

Victor HUGO est né en 1802 et mort en 1885, NERVAL a vu le jour en 1808 et s’est pendu en 1855, quant à BAUDELAIRE, il est apparu dans le monde en 1821 pour le quitter en 1867.
Il est plus que probable qu’un jeune homme attiré par la poésie dans les années 20 ait lu ces auteurs et les ait peut-être appréciés. Pour autant ils devraient lui avoir été moins proches et moins attirants que les quatre que nous avons d’abord cités car ils appartiennent clairement à une autre génération de versificateurs dont l’orientation est très différente de celle des quatre auteurs pris ici pour référence.
Si je n’évoque même pas Charles Marie René LECONTE DE LISLE (1818-1894) c’est que son œuvre me paraîtrait radicalement différente de ce que je peux lire chez Roger DE LEVAL.


Des deux ouvrages de Roger DE LEVAL, j’avoue que le premier a plus ma faveur que le second dont je trouve l’harmonie moins grande au travers de thèmes, ou moins précis, ou traités de manière plus hésitante. Il ne s’agit cependant que d’une impression diffuse que viennent démentir ponctuellement des strophes telles que :

« Lente Madone des marins
pour un long voyage en moi-même
j’invoque contre les destins
par-delà l’orgueil d’un poème
la protection de vos mains. »

                                                               (« Pour J. M. » Page 27)

ou         

« Les arbres dépouillés du bruit des avenues
-Dont tu ne trouvais pas le feuillage assez frais-
J’y cherchais des leçons que tu n’as jamais sues
Malgré ton nom mouillé comme un brouillard anglais. »

                                                               (« Muriel » page 39).

Mais :

« Devant le sanctuaire est une lampe rouge ;
On s’arrête parfois sur le balancement
De son ombre indécise et mystique qui bouge,
Comme une étoile dort au sein du firmament. »…

                                                               (« La Lampe » page 22 « L’autre Rive »)

ou

«Que toutes les voix font de bruit,
Toutes les voix du voisinage,
Des voix d’étrangers au visage
Décoloré comme l’ennui. »…

                                                               (« Les Voix » page 9)

ou bien

« Le soir, tout rêve et seul, je suis sans rêverie :
On entend bourdonner les rêves sur les toits ;
La lucarne est ouverte-elle aspire la vie
Et les rêves pour ceux qui dorment sous les toits. »…

                                                                              (« Les Rêves page 36 »)

sont pour moi plus chantantes et plus riches d’images.


La versification de Roger DE LEVAL est de type traditionnel mais non classique.
Elle est traditionnelle par l’existence de rimes, de vers mesurés et le plus souvent isométriques, de strophes et notamment de la plus usuelle d’entre elles : le quatrain, de l’alternance prédominante rime masculine-rime féminine.
Elle n’est pas classique (conforme aux exigences des traités de versification inspirés par MALHERBE) car on observe dans ses deux recueils des rimes entre masculin et féminin de même consonance, des strophes aux rimes d’un seul genre (féminines par exemple), des rimes plus proches de l’assonance que de la rime…
Ces remarques sont d’ailleurs un peu plus vraies pour le second recueil de DE LEVAL que pour le premier, second recueil où apparaissent aussi des particularités comme l’absence de majuscules au début des trois vers suivant le premier vers d’un quatrain et même, à la manière d’Apollinaire, l’absence de ponctuation laquelle, curieusement, n’intéresse d’ailleurs que certaines strophes d’un poème voire une partie seulement de la strophe.

J’imagine que ce second volume devait marquer une évolution dans la manière de son auteur, évolution que mon ignorance de l’histoire de cet auteur, du contexte de ses créations et, pire, de ses écrits ultérieurs, m’interdit de pouvoir seulement imaginer.

Pouvons-nous approfondir nos réflexions sur la versification et le style de DE LEVAL ?

Il me semble qu’en le lisant on peut au moins  penser à certaines pièces de l’Apollinaire du « Guetteur Mélancolique » avec par exemple «Marei », pièce qui appartient à l’ensemble des poèmes écrits à Stavelot dans les Ardennes belges en 1899 (comme par ailleurs «Mareye » qui figure dans les « Poèmes retrouvés » qui rassemblent des textes publiés en revue et inédits) :

« Dis-le moi mon amour est-il vrai que tu m’aimes
Une étoile a donc lui sur nos fronts certains soirs
Ah mon corps connaîtra tous les deuils des carêmes
Pour payer le bonheur que lui vaut cet espoir »…

Bien sûr, à cause de la note mélancolique que l’on y trouve, les vers de Roger DE LEVAL, particulièrement ceux de son premier recueil, font également penser à ARAGON mais néanmoins pas l’ARAGON de n’importe quelle période.
ARAGON en a terminé avec Dada en 1921 et il rompt avec le surréalisme en 1931. Ses recueils « Feu de Joie » (1917-1919) ou le « Mouvement Perpétuel » (1922-1924) peuvent sans doute avoir été lus par Roger DE LEVAL mais ils apparaissent d’un style bien différent même dans celles des pièces qui conservent une architecture néoclassique tel le sonnet « Un Air Embaumé » du « Mouvement Perpétuel »[vi].
C’est à l’ARAGON du « Roman Inachevé »[vii] qui date lui de 1956 (soit des textes écrits 20 ans après la mort de notre auteur) que peut faire penser DE LEVAL.
Ainsi ce poème « Voilà donc où tu te perds… » d’ARAGON :

« Voilà donc où tu perds malheureux la lumière qui s’achève
Cette dernière braise de ton cœur au foyer dispersé
Voilà donc où tu courais Le couronnement de ta pensée
Quand tu n’as plus le temps de rien voilà pourtant ce dont tu rêves

Tu vois la forme et la limite et déjà touches l’horizon
Pourras-tu finir ce poème avant que ne tombe la foudre
Et cependant tu te prends à jouer avec un dé à coudre
Le poids de ce que tu n’as pas su dire écrase ta raison »…

ne rappelle-t-il pas la mélancolie de « L’autre Rive », Premier texte du recueil éponyme de DE LEVAL ?

« De l’autre côté de la mer,
Là-bas où s’écroulent les vagues,
C’est le rivage au rocher verts
Que notre désir nous rend vague…
                                                                              strophe 1
Nous le regardons chaque soir,
Quand le crépuscule s’achève…
Mais la nuit les rochers sont noirs
Et nous y fracassons nos rêves. »…
                                                                              strophe 3.

Oui, la technique de rejet DE LEVAL est tout à fait semblable à celle de l’ARAGON du « Roman Inachevé » ou de la « Diane Française » (1947) ou du « Crève–Cœur » (1946) et du « Nouveau Crève–Cœur » (1948) mais ces recueils sont tous très postérieurs à son décès et ne peuvent donc être retenus.
Elle est globalement beaucoup moins « téméraire » que celle de l’APOLLINAIRE « d’Alcools » (1913) quand celui-ci délaisse le poème « classique », elle est également moins classique et à la fois moins innovante que celle du VERLAINE des « Fêtes Galantes » (1869) [viii]avec ses rimes impeccables et la virtuosité de ses enchaînements et de ses coupes. De « Clair de Lune » à « Colloque Sentimental » on ne peut trouver de communauté entre VERLAINE et notre auteur. Il existe pourtant bien chez VERLAINE un texte intitulé « En Patinant » dont le titre pourrait rappeler l’œuvre de DE LEVAL que je cite plus haut à propos de VERHAEREN (page 8) mais dont les développements n’ont rien à voir avec ceux du texte de DE LEVAL.
Des vers comme :

« Votre âme est un paysage choisi
Que vont charmant masques et bergamasques,
Jouant du luth, et dansant, est quasi
Tristes sous leurs déguisements fantasques

du « Clair De Lune » des « Fêtes Galantes » n’ont pas d’équivalent dans l’un ou l’autre des deux recueils que nous venons d’étudier.

Trouverons-nous quelques réelles ressemblances dans un VERLAINE plus tardif comme celui de « Jadis et Naguère » [ix]? Non ! Encore une fois non. Le vocabulaire même est tout autre, l’usage répété du sonnet est étranger à DE LEVAL, les thèmes sont essentiellement différents quoiqu’un certain régionalisme puisse se retrouver chez VERLAINE par exemple dans « L’auberge » que nous trouvons dans « Jadis » :

« La salle aux noirs plafonds de poutres, aux images
Violentes, Malek Adel et les Rois Mages,
Vous accueille d’un bon parfum de soupe aux choux. »…

Et RIMBAUD dont nous n’avons encore rien dit ?
Le RIMBAUD flamboyant du « Bateau Ivre »[x] ? Si la versification en reste très classique, l’inspiration en est toute différente et l’extraordinaire richesse de ses efflorescences ne se retrouve pas dans la manière de DE LEVAL.
Le RIMBAUD plein de dérision que l’on rencontre tout au long d’une grande majorité de ses textes comme par exemple dans « Le Forgeron » (tiré des « poèmes confiés à Izambard), dans « Rages de Césars » (dans le premier cahier du recueil Demeny) ou du « Bal des Pendus » (également du premier cahier du recueil Demeny) ? Pas plus et pour les mêmes raisons. Non, décidément non, RIMBAUD, ne semble pas une source d’inspiration ou d’imitation très importante pour notre poète.

A vrai dire, si, à l’évidence, ni VERLAINE, ni RIMBAUD, ne constituent à proprement parler des « Maîtres » pour Roger DE LEVAL, il est certain que, ici ou là, les poèmes de ce dernier peuvent rappeler, par une touche ou l’autre, l’un de ceux de ses aînés.

Ainsi, trois textes de DE LEVAL, aux accents maritimes, évocateurs de voyage, ou de périple et de bateaux, peuvent  faire penser, quoique qu’assez superficiellement, au « Bateau Ivre » de RIMBAUD. Il s’agit de « L’autre Rive » et de « Sud », respectivement page 7 et page 28 du recueil « L’autre Rive » et  « Pour J. M. », page 27 du recueil « Armillaire ».

Semblablement la manière d’organiser les coupes et les liens des deux premières strophes de « Les Livres » dans la revue « Va ! », l’utilisation d’une variation du sonnet n’usant que de rimes féminines pour les deux quatrains et organisant les deux tercets de manière inhabituelle (C DC/DDC) dans « Artémise », page 9 de « Armillaire » rappellent les techniques chères à Paul VERLAINE comme, cette grisaille et cette lassitude de « Spleen » page 10 de « L’autre Rive » en évoquent  le vocabulaire.

Enfin, puisque nous en sommes aux « touches » et aux « nuances », rappelons que seule la pièce intitulée « X = 0 » apparaît quelque peu « surréaliste » dans son expression poétique.

Compte tenu des différents éléments rassemblés ci-dessus il me semble néanmoins que, s’il faut choisir un maître putatif, un inspirateur, c’est décidément bien à la manière de VERHAEREN que les œuvres de DE LEVAL que je connais doivent avant tout faire penser.

J’ai, on l’aura compris,  beaucoup apprécié les œuvres de Roger DE LEVAL, sans doute m’objectera-t-on que ce ne sont pas celles d’un des géants de la poésie du XIXème finissant ou du début du XXème. Il me semble pourtant que leurs grandes qualités d’harmonie, de rythme, d’inspiration,  devraient les hausser au-dessus de l’ignorance et par conséquent de l’indifférence qui les entourent.
Quarante-sept poèmes sont-ils par ailleurs suffisants pour juger de la valeur exacte de leur auteur ?
Il existe une publication posthume d’œuvres de DE LEVAL. Je n’ai pas réussi à m’en procurer un exemplaire. Les textes qui y figurent permettraient peut-être de compléter les réflexions que je fais tout au long des pages ci-dessus.

Quoi qu’il soit assez peu probable que beaucoup de lecteurs parcourent ces lignes et répondent à cet appel je profite de cette courte étude pour prier toute personne qui posséderait quelques renseignements supplémentaires sur le poète Roger DE LEVAL ou qui saurait où je pourrais m’en procurer d’avoir la gentillesse de m’en faire part ;  je l’en remercie chaleureusement d’avance.

                                                                              ***



[ii] « Toute la Flandre » Emile VERHAEREN. – Classiques Larousse. 1985.
[iii] « Poètes d’Aujourd’hui » AD. Van BEVER et Paul LEAUTAUD. – Mercure de France. 1901.
[iv] « Toute la Flandre » Emile VERHAEREN. – Classiques Larousse. 1985.
[v] « Toute la Flandre » Emile VERHAEREN. – Classiques Larousse. 1985.

[vi] « Le Mouvement perpétuel » ARAGON. NRF – Poésie/Gallimard – 1975.
[vii] « Le Roman Inachevé » ARAGON. NRF – Poésie/Gallimard – 1985.
[viii] « Poèmes Saturniens » suivi de « Fêtes Galantes » VERLAINE. Le Livre de Poche - 1976.
[ix] « Jadis et Naguère » « Parallèlement ». VERLAINE. Le livre de poche – 1970.
 [x] « Poésies Complètes » RIMBAUD. Les Classiques de Poche. Le Livre de Poche - 2009.