Comme la
vie, la littérature est faite de coïncidences.
Tôt ce
matin, je débute la lecture du volume 21 de la collection « bibliothèque –
Gallimard » (1) intitulé : « Alcools – Guillaume Apollinaire » qui m’apprend,
page sept à huit, les incertitudes du poète quant à sa propre définition et
m’offre cette citation tirée du poème « Cortège » :
« Un jour je
m’attendais moi-même
Je me disais
Guillaume il est temps que tu viennes
Pour que je
sache enfin celui-là que je suis ».
Un peu plus
tard ce matin, je m’en vais profiter du soleil d’août pour une promenade que je
ne puis achever sans passer par le marché aux livres du mercredi. Pour une
somme infime j’y acquière un exemplaire de la revue « VA ! – Revue indépendante
», première année – y en a-t-il eu beaucoup d’autres ? – Janvier 1924, numéro
10 – 12 (2) où ceci avait attiré mon attention :
Le Poète
Fou.
Je suis bien
peu ce que je suis
Puisque mes
désirs m’en dégagent,
Mes désirs
d’être d’un autre âge
Que je n’ai
pas bien défini
D’un âge où
je serai moi-même
Dégagé de ce
que je suis,
Moi,
l’énoncé d’un théorème
Dont un des
termes s’est enfui.
Car je n’ai
jamais l’âme en peine,
Ayant
assouvi tout désir.
Pourtant le
sang brûle mes veines
Lorsque je
songe à l’avenir…
Qui résoudra
le théorème ?…
Je suis
triste sans l’avouer,
Puisque
j’ignore mon moi-même
Après
l’avoir tant recherché…
Ceci, qui se
trouve signé du nom de Roger DE LEVAL – Directeur des « Ailes qui s’ouvrent »
et que j’ai apprécié.
Qui est Roger DE LEVAL ?
L’ouvrage
de, Robert Frickx et Raymond Troisson, «
Lettres Françaises de Belgique, tome II: la poésie, (3) me donne quelques
éléments dans la recension qu’il fait de l’ouvrage de DE LEVAL : « L’Autre Rive
», publié en 1923 (à 17 ans !) car on n’y apprend que l’auteur, né en 1906, se
suicide en 1936. Je ne trouve aucun renseignement supplémentaire sur sa vie
dans mes recherches sur Internet ou dans ma bibliothèque.
La
consultation du site unicat.be : Union Catalogue of Belgian Libraries (4), me
donne la liste des œuvres de Roger DE LEVAL que je reproduis ci-dessous :
-
L’Autre Rive, 1923, Bruxelles, Editions de la
Vie Intellectuelle.
-
Armillaire, 1928, Bruxelles : A l’enseigne
de l’oiseau bleu.
-
Lettre pour un rhétoricien, 1932, Bruxelles,
Imprimerie De Raeve.
-
Ode à propos de Londres, 1928, Paris. Ecrivains
réunis.
-
Matinées, sans date, Bruxelles. Edition
échantillons.
-
Cinq Essais sur la poésie Anglaise
Contemporaine, sans date, Bruxelles ; Gauloises.
-
Jazz-Band le Mal du siècle en collaboration avec
Pierre FONTAINE et Julien FLAMENT, 1925, Bruxelles, Editions Gauloises.
-
Tu Jongleras avec ton cœur, 1937 (ouvrage
posthume), Paris, Editions du Centaure.
Quant à la revue « les Ailes qui s’ouvrent » j’en trouve la
trace sur le site « Archive et Musée de la Littérature » (belge) (6) qui
m’apprend qu’il s’agissait d’une revue littéraire mensuelle, édité par Albert
Dewitt, libraire éditeur à Bruxelles et qu’elle a débuté en 1923.
Et voilà tout.
Je mets bien au jour sur le site eBay une photo de presse du
mariage (le 7 décembre 1931) de Monsieur Roger DE LEVAL, avocat belge, avec la
fille du colonel Stanley BIRD ex « princesse Said Halin » précédemment épouse du
neveu du grand vizir de Turquie mais je ne parviens pas à déterminer s’il s’agit
bien du Roger DE LEVAL dont je viens d’apprécier le travail.
Bien sûr, la note que consacre l’ouvrage « Lettres
Françaises de Belgique » (3) à « Armillaire », autre œuvre de Roger DE LEVAL
faisant également mention de son « Ode à propos de Londres », 1928, évoque « une poésie dans l’objectif principal
fut peut-être de fixer un instant de bonheur, une image frappante ou une brève
romance » ce qui rend assez tentant le rapprochement entre celui qui écrivit ce
texte et l’homme qui figure sur cette
photo de mariage d’autant, que nous l’avons vu ci-dessus, notre auteur a
également écrit un texte sur la poésie Anglaise contemporaine ce qui lui
suppose une certaine familiarité avec ce pays, sinon avec certains de ses
habitants….
Scientifiquement parlant, ces éléments demeurent cependant
assez minces et l’étude de la photo supposée être celle de notre poète, montre
un homme aux golfes temporaux déjà bien dégarnis de cheveux ce qui est un peu
étonnant pour un jeune homme qui au moment de son mariage n’était âgé que de 25
ans (la chose peut cependant se voir de manière non n’exceptionnelle dès cet
âge selon l’artisan coiffeur très compétent que je me suis permis d’interroger
à ce sujet).
Sur la nouvelle épousée mes recherches sont restées
étonnamment vaines.
De la perplexité en poésie : qui ou que suis-je ?
Ainsi
Apollinaire se cherche, mais Apollinaire se trouve, ce qui, à la lecture du «
Poète Fou », ne semble pas être le cas de Roger DE LEVAL.
Ces deux-là,
qu’on ne peut bien évidemment pas mettre sur le même pied, ne sont pas les
seuls à se poser des questions sur eux-mêmes, en témoignent ainsi cet extrait
du poème « les Chansons que je fais… » extrait de « Les Chansons et les Heures
– Le Rosaire des Jours » de Marie NOËLLE (5) :
« Les
chansons que je fais, qu’est ce qui les a faites ?… »
page 35 et
cet extrait de la 12e strophe de « Connais-Moi » page 39 :
« Connais
moi ! Connais moi ! Ce que j’ai dit, le suis-je ?
Ce que j’ai
dit est faux – Et pourtant c’était vrai ! –
L’air que
j’ai dans le cœur est-il triste ou bien gai ?
Connais-moi
si tu peux. Le pourras-tu ?… Le puis-je ?… »
N’y a-t-il
pas aussi un peu de cela dans la première strophe du poème « Naïf » de Cocteau
(7) ?
« Pourquoi
Seigneur faut-il être fait de la sorte
Étranger à
la nuit d’où mes poèmes sortent
D’où vient
ce tribunal qui m’invente un procès
Pour le
crime d’amour de gloire et d’insuccès
Et quel est
ce destin qui d’attrape en attrape
D’une main
me caresse et de l’autre me frappe ? »
Et dans ce
15e texte de « Tendres impôts à la France » du recueil « Vergers »
(8) que Rainer Maria Rilke écrivit
directement en français à la fin de sa vie :
« De quelle
attente, de quel
regret
sommes-nous les victimes,
nous qui
cherchons des rimes
à l’unique universel ?
Nous
poursuivons notre tort
en obstinés
que nous sommes ;
mais entre
les torts des hommes
c’est un
tort tout en or. »
Qui
sommes-nous, que sommes-nous ?
« Le mystère
est en moi comme couve une flamme
Dans un tas
de sarments ;
Je le ferai
jaillir pour confronter mon âme
Avec les
éléments. »
Écrit Jean
Moréas dans la seconde strophe de la 14e stance du « Quatrième Livre
des Stances » (9).
Et, parlant
de mystère, n’est-ce pas également le moment de citer le deuxième quatrain du
très fameux « Mon Rêve Familier » de Paul Verlaine (10) ?
« Car elle
me comprend, et mon cœur, transparent
Pour elle
seule, hélas ! Cesse d’être un problème
Pour elle
seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule
les sait rafraîchir, en pleurant. »
Tous ces
auteurs ont en commun le fait d’appartenir à une époque où les poètes sont
paradoxalement très nombreux alors que, même pour les plus grands, leur
importance devient de moins en moins grande dans la littérature. Faut-il y voir
une des raisons de leurs incertitudes ?
C’est bien
un sentiment de marginalisation qui apparaît dans les lignes que nous citons
plus haut, de marginalisation et de jugement péjoratif possible de la part
d’une entité qu’aucun des auteurs ne nomme expressément mais qui correspond à
l’évidence à la collectivité au milieu de laquelle ils vivent.
Rythme des
mots, musique des images, à quoi bon composer, à quoi bon faire partager ses
émotions à d’autres et avec qui les partager aujourd’hui ?
« En regardant
vers le pays de France,
Un Jour
m’advint à Douvres sur la mer… », Charles d’Orléans, fait prisonnier à la
bataille d’Azincourt en 1415 et resté captif en Angleterre pendant 25 ans offre
au moins une des réponses possibles à ces questions. Composer des vers pour
exister en soi-même et pour exister avec les autres au travers du seul moyen de
partage que le destin vous a laissé : non seulement être mais s’assurer que
l’on est.
Et puis
lutter à armes presque égales avec le temps…
Bien sûr, tous les poètes n’ont pas d’états d’âme quant à ce qu’ils
sont ou quant à ce qu’ils représentent et chacun connaît la citation de
Malherbe : « Un bon poète n'est pas plus utile à l'Etat qu'un bon joueur de
quilles. ». Malherbe a peut-être raison quand il s’agit de l’État et du poète
courtisan mais, paraphrasant Théophile de Viau écrivons : « Malherbe a très
bien dit mais il a dit pour lui » et pensons, avec tous les poètes qui se
cherchent (et éventuellement se trouvent) que poésie et poètes valent plus que
cela, même dans notre monde actuel.
Bibliographie.
1 - Alcools. Apollinaire. La bibliothèque
Gallimard-Education. 2004. P. 7-8.
2 - « VA ! » (revue). Ière année, janvier
1924, n°10-12, p. 238-239.
3 – « Lettres Françaises de Belgique » Tomme II-La
Poésie. Robert Frickx et Raymond Trousson. Ed. Duculot, 1988, p. 54.
4 – Union
Catalogue of Belgian Libraries. http://www.unicat.be/uniCat?func=search&language=en&fromWeb=1&formQuery=de+leval+roger
5 – Les Chansons et les Heures – Le Rosaire des Jours.
NRF-Poésie Gallimard, 1983, p.35 et p. 39.
6 – Archives et Musée de la Littérature (Belge). http://www.aml-cfwb.be
7 – Poésie 1 (revue), n°1, 1969, Cocteau, «
Faire-part », poèmes inédits 1922-1960, p. 33.
8 – « Vergers » suivi d’autres poèmes français.
Rainer Maria Rilke. NRF, Poésie Gallimard, 1997, p. 177.
9 – Les Stances. Jean Moréas. Mercure de France, 1923, p.
144.
10 – Œuvre Poétique. Tome Premier. Paul Verlaine. Ed. :
Jean de Bonnot, 1975, p. 33.
***
Note: un autre poème de Roger DE LEVAL: http://poetesinconnus.over-blog.com/article-les-livres-roger-de-leval-1906-1936-124340882.html
Note: un autre poème de Roger DE LEVAL: http://poetesinconnus.over-blog.com/article-les-livres-roger-de-leval-1906-1936-124340882.html