vendredi 16 janvier 2015

Verlaine - Chronologie. Et quelques réflexions inhabituelles.




 Verlaine d'après le timbre poste "République Française" de 12 F.


Existe-t-il beaucoup de personnes qui n’associent pas Verlaine à Rimbaud ? Est-il beaucoup de personnes qui ne voient pas en eux le duo poétique par excellence comme si la carrière de l’un et la carrière de l’autre étaient indissolublement liées ?

Et combien de ces mêmes personnes ne pensent-elles pas d’abord à Rimbaud comme le plus important des deux ?
Nous ne nous occuperons pas ici de ce dernier point qui mérite un bien plus ample développement.

Cette petite chronologie ne concerne que les œuvres poétiques de Verlaine, seules les dates « significatives » de son existence en tant que poète y sont retenues.



1844 : naissance à Metz de Paul Verlaine.

1866 : publication chez Alphonse LEMERRE, à compte d’auteur des « Poèmes Saturniens », les frais
            de cette édition sont réglés par Elisa MONCOMBLE, cousine de Verlaine. Ce livre de 37 pièces,
            hors prologue et épilogue, ne recueille aucun succès au contraire du « Reliquaire » de François
            COPPEE, publié juste avant lui chez le même éditeur[1].
            Edition sous le manteau, à Bruxelles, des « Amies » (qui seront condamnés par le tribunal de
            Lille en 1868).

1869 : édition des « Fêtes Galantes », toujours chez le même éditeur, toujours à compte d’auteur.
            Aucun succès[2].

            Rencontre pour la première fois en juin 1869 de Verlaine et Mathilde Mauté de Fleurville.
            Il s’écoule entre cinq et six semaines entre cette rencontre et la demande en mariage que
            Verlaine prie le demi-frère (Charles de Sivry) de Mathilde de faire pour lui auprès des
            parents de la jeune fille (20 ou 21 juillet 1869).
            Charles de Sivry, rapporte à Verlaine une réponse favorable à la suite de laquelle ce dernier
            écrit le premier poème de ce qui deviendra la « Bonne Chanson » dans la semaine du 25 juillet
            au 2 août 1869[3].
            Cette réponse favorable intervient donc quatre à cinq jours seulement après la
            demande !

1870 : juin : achèvement de « La Bonne Chanson ».
            Août, mariage de Verlaine et de Mathilde Mauté de Fleurville.
           
1871 : septembre : Rimbaud écrit à Verlaine qui le fait venir à Paris. Lepelletier[4] laisse entendre
            que son ami n’était pas heureux en mariage dès avant l’arrivée à Paris de Rimbaud.

1872 : après une première séparation, mi-janvier, d’avec son mari, Mathilde Mauté de Fleurville,
            accepte de reprendre la vie commune nomme à la condition expresse d’une rupture entre
            Verlaine et Rimbaud.
            Juillet : Verlaine s’enfuit avec Rimbaud et gagne l’Angleterre.

            Le mariage de Verlaine et de Mathilde Mauté de Fleurville a duré 23 mois.

1873 : Le 10 juillet, Verlaine tire deux coups de revolver sur Rimbaud et le blesse très légèrement.
            Jugé et condamné il purge sa peine à la prison de Bruxelles du 11 juillet au 24 octobre 1873, à
            celle de Mons du 25 octobre 1873 au 16 janvier 1875[5].

            Ses relations avec Rimbaud auront duré 19 mois.

1874 : en mars, publication à compte d’auteur de « Romances sans Paroles ». Sans succès[6].

1880 : publication chez Palmé, toujours à compte d’auteur de « Sagesse »
            qui ne sera pas même mis en vente par son éditeur.

1884 : publication en avril, chez Vanier des « Poètes Maudits ».
            Novembre : édition, chez Vanier de « Jadis et Naguère » dont l’essentiel est d’une composition
            bien antérieure à cette date.

1887 : août, dans une de ses lettres à son ami Lepelletier, Verlaine témoigne de son début
           de notoriété[7].

1888 : édition en mars, chez Vanier de « Amours ».

1889 : édition de « Parallèlement » chez Vanier.

1890 : édition fin 1890, sous le manteau, à Bruxelles du recueil érotique : « Femmes ».
            « Hombres » (« Hommes ») qui date de la même époque ne lui est pas associé.

1891 : publication fin avril ou mai de « Bonheur » chez Vanier, ses premiers textes datent de 1887.
            Mort de Rimbaud.

1892 : en avril, publication de « Liturgies Intimes ».
            En mai, publication de « Elégies » et « Odes en son honneur ».

1894 : publication en mai de « Dans les Limbes » et,
            En décembre de « Epigrammes » augmenté de « Dédicaces ».

1896 : mort de Verlaine.


Que constatons-nous ?

Que certaines des plus belles œuvres du poète, voire peut-être la plus belle, en l’espèce, les « Fêtes Galantes » n’ont eu aucun succès ou presque lors de leurs publications d’ailleurs faites aux frais de leur auteur.
Tout de suite reconnu dans un cercle très étroit d’amateurs ou de confrères comme un poète de grand talent, Verlaine devra attendre les années 1885–1887 pour connaître une réelle notoriété  grâce notamment  au succès du roman de Huysmans, « À Rebours » (1884), véritable manifeste d’un « décadentisme » dans lequel toute une époque se retrouva à travers son héros, des Esseintes, admirateur de Verlaine dont  il loue  et cite certains poèmes[8]  mais également grâce à la naissance de l’école symboliste qui fît de l’auteur des « Fêtes Galantes » son  «maître ». La reconnaissance « officielle », « générale » de la valeur du poète est par conséquent  très tardive.

Que son mariage avec Mathilde Mathilde Mauté de Fleurville tient, par sa rapidité, du coup de tête et du coup de dés et qu’il paraît bien avoir déjà pris un tour regrettable avant l’arrivée de Rimbaud[9]. Sa très courte durée (moins de deux ans) est sans commune mesure avec l’importance des regrets qu’il laissera à Verlaine à travers l’image d’une épouse peut-être quelque peu idéalisée.

Enfin, et surtout, que « l’aventure » de Verlaine avec Rimbaud est d’une durée encore plus limitée si bien que contrairement à la légende et à l’usage, on peut, sans en nier l’importance, en relativiser cependant la portée : Verlaine existe sans Rimbaud, Verlaine existe bien au-delà de Rimbaud. Verlaine était un poète génial avant sa rencontre avec Rimbaud, il le demeure longtemps après le départ de celui-ci, malgré l’érosion que son alcoolisme final et la précarité de ses moyens d’existence font subir peu à peu à son talent, une érosion que lui-même reconnaît dans « Le Livre Posthume » où son premier texte commence ainsi :

Le poète a fini sa tâche.
                                               L’homme, non.
L’un se repaît du bruit fait autour de son nom,
Il compte ses succès sincères ou factices,
Depuis l’humble début et les chastes prémices
Jusqu’à ses derniers vers, qu’il sent bien fatigués ! [10]

                                                                          ***


[1] Paul Verlaine, sa vie, son œuvre. Edmond Lepelletier. 1907. pp 139–140.
[2] Paul Verlaine, sa vie, son œuvre. Edmond Lepelletier. 1907. p 162.
[3] Verlaine. Œuvre Poétique. Édition de Jacques Robichez. Classiques Garnier. 1969. Chronologie p III.
[4] Paul Verlaine, sa vie, son œuvre. Edmond Lepelletier. 1907. Pp 120–121.
[5] « Cellulairement ». Collection Poésie. Gallimard. 2013. P. 11.
[6] Paul Verlaine, sa vie, son œuvre. Edmond Lepelletier. 1907. P. 363.
[7] Paul Verlaine, sa vie, son œuvre. Edmond Lepelletier. 1907. P. 505.
[8] « A Rebours ». J.K. Huysmans. Préface de Marc Fumaroli. Folio 898. 1977. P.48, 313-316.
[9] Voir note 4.
[10] « Le Livre Posthume ». Paul Verlaine. Ode En Son Honneur. Éditions de Cluny. 1943. P. 133.