Verlaine d'après le timbre poste "République Française" de 12 F.
Existe-t-il
beaucoup de personnes qui n’associent pas Verlaine à Rimbaud ? Est-il beaucoup
de personnes qui ne voient pas en eux le duo poétique par excellence comme si
la carrière de l’un et la carrière de l’autre étaient indissolublement liées ?
Et combien
de ces mêmes personnes ne pensent-elles pas d’abord à Rimbaud comme le plus
important des deux ?
Nous ne nous
occuperons pas ici de ce dernier point qui mérite un bien plus ample
développement.
Cette petite
chronologie ne concerne que les œuvres poétiques de Verlaine, seules les dates
« significatives » de son existence en tant que poète y sont retenues.
1844 :
naissance à Metz de Paul Verlaine.
1866 :
publication chez Alphonse LEMERRE, à compte d’auteur des « Poèmes
Saturniens », les frais
de cette édition sont réglés par
Elisa MONCOMBLE, cousine de Verlaine. Ce livre de 37 pièces,
hors prologue et épilogue, ne recueille
aucun succès au contraire du « Reliquaire » de François
Edition sous le manteau, à
Bruxelles, des « Amies » (qui seront condamnés par le tribunal de
Lille en 1868).
1869 :
édition des « Fêtes Galantes », toujours chez le même éditeur, toujours à
compte d’auteur.
Rencontre pour la première fois en
juin 1869 de Verlaine et Mathilde Mauté de Fleurville.
Il s’écoule entre cinq et six
semaines entre cette rencontre et la demande en mariage que
Verlaine prie le demi-frère
(Charles de Sivry) de Mathilde de faire pour lui auprès des
parents de la jeune fille (20 ou 21
juillet 1869).
Charles de Sivry, rapporte à Verlaine
une réponse favorable à la suite de laquelle ce dernier
écrit le premier poème de ce qui
deviendra la « Bonne Chanson » dans la semaine du 25 juillet
au 2 août 1869[3].
Cette réponse favorable intervient
donc quatre à cinq jours seulement après la
demande !
1870 : juin
: achèvement de « La Bonne Chanson ».
Août, mariage de Verlaine et de
Mathilde Mauté de Fleurville.
1871 :
septembre : Rimbaud écrit à Verlaine qui le fait venir à Paris. Lepelletier[4]
laisse entendre
que son ami n’était pas heureux en
mariage dès avant l’arrivée à Paris de Rimbaud.
1872 :
après une première séparation, mi-janvier, d’avec son mari, Mathilde Mauté de
Fleurville,
accepte de reprendre la vie commune
nomme à la condition expresse d’une rupture entre
Verlaine et Rimbaud.
Juillet : Verlaine s’enfuit avec
Rimbaud et gagne l’Angleterre.
Le mariage de Verlaine et de Mathilde Mauté de Fleurville a duré 23
mois.
1873 :
Le 10 juillet, Verlaine tire deux coups de revolver sur Rimbaud et le blesse
très légèrement.
Jugé et condamné il purge sa peine
à la prison de Bruxelles du 11 juillet au 24 octobre 1873, à
celle de Mons du 25 octobre 1873 au
16 janvier 1875[5].
Ses relations avec
Rimbaud auront duré 19 mois.
1874 : en
mars, publication à compte d’auteur de « Romances sans Paroles ». Sans succès[6].
1880 :
publication chez Palmé, toujours à compte d’auteur de « Sagesse »
qui ne sera pas même mis en vente
par son éditeur.
1884 :
publication en avril, chez Vanier des « Poètes Maudits ».
Novembre : édition, chez
Vanier de « Jadis et Naguère » dont l’essentiel est d’une composition
bien antérieure à cette date.
1887 : août,
dans une de ses lettres à son ami Lepelletier, Verlaine témoigne de son début
de notoriété[7].
1888 :
édition en mars, chez Vanier de « Amours ».
1889 :
édition de « Parallèlement » chez Vanier.
1890 :
édition fin 1890, sous le manteau, à Bruxelles du recueil érotique :
« Femmes ».
« Hombres »
(« Hommes ») qui date de la même époque ne lui est pas associé.
1891 :
publication fin avril ou mai de « Bonheur » chez Vanier, ses premiers
textes datent de 1887.
Mort de Rimbaud.
1892 :
en avril, publication de « Liturgies Intimes ».
En mai, publication de
« Elégies » et « Odes en son honneur ».
1894 :
publication en mai de « Dans les Limbes » et,
En décembre de
« Epigrammes » augmenté de « Dédicaces ».
1896 :
mort de Verlaine.
Que constatons-nous ?
Que
certaines des plus belles œuvres du poète, voire peut-être la plus belle, en l’espèce,
les « Fêtes Galantes » n’ont eu aucun succès ou presque lors de leurs
publications d’ailleurs faites aux frais de leur auteur.
Tout de
suite reconnu dans un cercle très étroit d’amateurs ou de confrères comme un
poète de grand talent, Verlaine devra attendre les années 1885–1887 pour connaître
une réelle notoriété grâce notamment au succès du roman de Huysmans, « À Rebours »
(1884), véritable manifeste d’un « décadentisme » dans lequel toute
une époque se retrouva à travers son héros, des Esseintes, admirateur de
Verlaine dont il loue et cite certains poèmes[8]
mais également grâce à la naissance de
l’école symboliste qui fît de l’auteur des « Fêtes Galantes » son
«maître ». La reconnaissance « officielle »,
« générale » de la valeur du poète est par conséquent très tardive.
Que son
mariage avec Mathilde Mathilde Mauté de Fleurville tient, par sa rapidité, du
coup de tête et du coup de dés et qu’il paraît bien avoir déjà pris un tour
regrettable avant l’arrivée de Rimbaud[9].
Sa très courte durée (moins de deux ans) est sans commune mesure avec
l’importance des regrets qu’il laissera à Verlaine à travers l’image d’une
épouse peut-être quelque peu idéalisée.
Enfin, et
surtout, que « l’aventure » de Verlaine avec Rimbaud est d’une durée encore
plus limitée si bien que contrairement à la légende et à l’usage, on peut, sans
en nier l’importance, en relativiser cependant la portée : Verlaine existe
sans Rimbaud, Verlaine existe bien au-delà de Rimbaud. Verlaine était un poète
génial avant sa rencontre avec Rimbaud, il le demeure longtemps après le départ
de celui-ci, malgré l’érosion que son alcoolisme final et la précarité de ses moyens
d’existence font subir peu à peu
à son talent, une
érosion que lui-même reconnaît dans « Le Livre Posthume » où son premier texte
commence ainsi :
Le poète a
fini sa tâche.
L’homme,
non.
L’un se
repaît du bruit fait autour de son nom,
Il compte
ses succès sincères ou factices,
Depuis
l’humble début et les chastes prémices
Jusqu’à ses derniers vers, qu’il sent bien
fatigués ! [10]
***
[1] Paul
Verlaine, sa vie, son œuvre. Edmond Lepelletier. 1907. pp 139–140.
[2] Paul
Verlaine, sa vie, son œuvre. Edmond Lepelletier. 1907. p 162.
[3]
Verlaine. Œuvre Poétique. Édition de Jacques Robichez. Classiques Garnier.
1969. Chronologie p III.
[4] Paul
Verlaine, sa vie, son œuvre. Edmond Lepelletier. 1907. Pp 120–121.
[5] « Cellulairement
». Collection Poésie. Gallimard. 2013. P. 11.
[6] Paul
Verlaine, sa vie, son œuvre. Edmond Lepelletier. 1907. P. 363.
[7] Paul
Verlaine, sa vie, son œuvre. Edmond Lepelletier. 1907. P. 505.
[8] « A
Rebours ». J.K. Huysmans. Préface de Marc Fumaroli. Folio 898. 1977. P.48,
313-316.
[9] Voir
note 4.
[10] « Le
Livre Posthume ». Paul Verlaine. Ode En Son Honneur. Éditions de Cluny. 1943.
P. 133.