Jean Ogier de GOMBAUD. – Brève Etude.
La pluspart
des notes biographiques qui concernent notre poète reprennent ce que disent de lui les
« Historiettes » de Tallemant des Réaux[1],
l’ouvrage de Paul de Musset s’en écarte, qui le fait
arriver à
Paris en 1606[2] (un an
après que Malherbe, 1555-1628, son contemporain y soit lui-même arrivé, convié
par Henri IV[3]), à 30
ans pour ceux qui le font naître en 1576 ou 36 ans pour ceux qui lui font voir
le jour en 1570[4].
GOMBAUD, quoiqu’un peu oublié de nos jours, connût la
gloire à son époque pour la qualité de ces sonnets. Selon Tallemant[5]
qui, comme Voltaire, ne retient que la valeur de ses épigrammes[6], il aurait découvert un secret qui permettait de ne composer que de bons
sonnets, secret qu’il n’a pas révélé[7].
Ce n’est d’ailleurs pas le seul secret que, toujours selon Tallemant, notre poète se serait targué d’avoir
découvert : « Il sçait aussi un secret pour jetter son homme à bas à
la lutte ; il en sçait un autre pour luy faire sauter le poignard des
mains ; mais il ne vous le dira pas. »[8]
Il semble
avoir été un homme aussi attaché à la notion d’honneur nobiliaire qu’il était
peu courtisan, préférant vivre dans la gêne plutôt que de quémander et
n’acceptant qu’avec beaucoup de difficultés une aide financière venue d’un
autre que du roi lui-même[9] :
« et une fois depuis la Régence, car le feu Roy, après la mort du cardinal
de Richelieu, raya de sa main toutes les pensions, on fut contraint de le
quester, et après on luy fit accroire qu’on avoit trouvé moyen de toucher cela
de l’argent du Roy. ».
« C’est
le plus ceremonieux et le plus mysterieux des hommes. Mme de Rambouillet
l’appeloit le Beau Tenebreux. »
nous rapporte Tallemant[10]
ajoutant un peu plus loin, à propos de
cet attachement de GOMBAUD à ce qu’il prétendait être les anciens usages
de cour : « et Mme de Rambouillet dit que, quoyqu’il chante de sa
vieille cour, les gens n’estoient point faits comme luy, et qu’il a tousjours
esté unique en son espece ; »
Quand à
l’amour qu’il aurait eu pour la Marie de Médicis, « il nie d’en avoir
jamais esté amoureux ; mais bien d’une autre personne de grande qualité
qu’il appelle aussi Filis dans ses
poésies ; [11]»
cependant nous disent les historiettes, un écrivain blésois « nommé du
Vivier avoit fait une comédie en vers où il avoit tous les idiomes de
France ; le Gascon, qui estoit, comme vous pouvez penser, un capitan,
disoit qu’il estoit aimé de toutes les belles ; et parlant des déesses, il
dit de la Lune :
Mais elle
loge un peu bien haut ;
Et puis je la
laisse à Gombaud. [12]»
Il fut élu
en 1634 au fauteuil numéro 5 de la jeune Académie Française[13].
GOMBAUD
connut une fin d’existence difficile, marquée par les difficultés
matérielles, la maladie et la présence à
ses côtés d’une « servante-compagne » qui l’exploitait outrageusement
[14] :
« Elle le vole, luy a fait faire une declaration que ses meubles ont esté
acheptez de l’argent de cette fille, ce qui est faux, et a tiré de luy quelques
promesses. Elle est maistresse absolue… » ; il mourut en 1666.
La situation
de ce pauvre GOMBAUD vieillissant tombé dans les griffes de « sa » Marie
ne peut évidemment que faire évoquer celle que connaîtra, 230 ans plus tard,
VERLAINE avec la peu recommandable Eugénie KRANTZ ; un exemple de plus que
le sort des poètes est rarement heureux...
Quant à ses
vers, voici ce qu’en disent d’une part Tallemant[15]
et de l’autre Marcel ARLAND[16]
dans son anthologie de la poésie française.
« Ses
vers, pour l’ordinaire, ne vont point au cœur ; ils ne sont point
naturels : puis il y a grand nombre de sonnets, et pour bien rimer il tire
souvent les choses par les cheveux. Ses vers de ballets et ses epigrammes
valent mieux ; mais ce qu’il a fait de meilleur en vers et en prose, ce
sont ses ouvrages chrestiens. »
« Il y
a, chez Jean-Ogier de Gombaud, qui aima Marie de Médicis, je ne sais quoi de
chimérique, de hautain et de tendre à la fois qui fait de lui l’un des poètes
les plus originaux de son temps. Sans doute, il a trop accordé à sa facilité
naturelle, à l’occasion et à la mode. Mais il peut-être gracieux sans fadeur,
secret comme Maurice Scève, limpide à l’égal de La Fontaine. Son vers a des
mouvements qui tantôt nous ravissent par leur délicatesse, tantôt nous étonnent
par leur ferme grandeur. »
En voici
deux exemples avec tout d’abord ce
sonnet adressé à la reine Marie de Médicis, alors veuve d’Henri IV et régente
du royaume[17].
S’il est vrai que Phillis ne regarde
personne
Lorsqu’elle
ne voit point l’objet de son amour ;
S’il est
vrai qu’elle est seule au milieu de sa cour
Et ne s’aperçoit
pas de ce qui l’environne ;
Amant,
heureux amant, digne d’une couronne,
Dont ses
augustes yeux demandent le retour,
Qui retarde
tes pas ? quel aimable séjour,
Quel pouvoir
te retient ? quelle main t’emprisonne ?
Non, tu ne
manques pas ni d’amour ni de foi ;
Tu sais bien
que Phillis n’a des yeux que pour toi,
Et que
chacun se plaint de son indifférence ;
Mais un
secret effroi cause tes déplaisirs :
Tu sens que
son amour n’a rien que l’apparence ;
Que son cœur
est contraire à ses propres désirs.
***
Carite
l’autre jour si pompeuse et si belle[18]
De la terre
et du ciel montroit tous les trésors ;
Quand je me
laissay vaincre aux amoureux transports,
Qui m’en
firent prétendre une faveur nouvelle.
Mais j’en
fus repoussé d’une main si cruelle,
Et d’un si
rude coup je sentis les efforts,
Que mon
ombre craintive erra parmy les morts,
Preste à
passer le fleuve où le Sort les appelle.
J’eus le
pied dans la barque et pour m’en empescher,
Où va don
cét Amant ? dit le triste Nocher,
Quelle main violente au Cocyte le
pousse ?
Il porte un
Astre au cœur, digne du firmament ;
Et sa flame
est si grande, et sa plainte est si douce,
Que l’Enfer
n’auroit plus d’ombre ny de tourment.
***
Quant aux
épigrammes composées par ce poète, on en trouvera quelques unes ci-dessous,
toutes tirées de son ouvrage : « Les Epigrammes de GOMBAULD [19]».
Je reproduis
ci-dessous le texte dont GOMBAULD fait précéder
ses vers. Il me semble en effet bien illustrer par son ton le personnage,
inhabituel pour son époque, que fut cet homme.
« Ce n’est que pour passer par tous les
genres d’escrire, qu’apres avoir fait d’autres diverses Œuvres, j’ay voulu
faire aussi des Epigrammes. On m’a persuadé de les mettre au jour ; mais
je n’ay pas le courage de les dedier à personne, non pas mesme de les
accompagner de quelque Avertissement. Il semble que ceux qui dedient si
volontiers leurs Ouvrages ne cherchent pas tant des Protecteurs, que des
Complices de leurs fautes. Ce n’est pas faire des offrandes ; c’est
mendier des gratifications. C’est vendre ce qu’on ne doit jamais acheter ;
je parle des loüanges que plusieurs reçoivent avec plaisir, & qu’ils ne
payent gueres qu’à regret. On veut que je donne des Advis à ceux qui ne se
soucient pas d’en recevoir, & à qui mes excuses donneroient, peut-être le
moyen de m’accuser davantage. On veut que je rende à la Coustume, ce que je ne
croy point devoir à la nécessité. Mais je n’ay rien à dire, sinon ce que l’on
eust bien jugé sans que je l’eusse dit. Que ces Epigrammes ne sont pas toutes
d’un âge, & que les plus vieilles sont celles qui tiennent le plus de la
jeunesse. Que les unes excusent les autres, & qu’elles ne sont faites la
pluspart, que pour les bonnes mœurs, ou plustost contre les mauvaises : De
telle sorte pourtant que pas un n’en puisse murmurer, à moins que de se declarer
coupable. »
Livre I.
Page 3 de
l’ouvrage et page 32 du fichier Gallica numérisé correspondant. Epigramme V.
AVARES
IMPERTINENTS ET RIDICULES.
Quand je voy
si prés du cercueil,
Croistre
l’Avarice, & l’Orgueil,
Je croy que
le Monde radote.
Esprits du
siecle perverty,
Ou vous
estes fous à marote,
Ou tous les
Sages ont menty.
Page 6 de
l’ouvrage et 35 du fichier Gallica. Epigramme IX.
LES RICHES.
Que les
Riches ont de procez !
Qu’ils ont
de tragiques succez !
Que le
Diable leur fait de niches !
Que le
tracas leur est fatal !
Qu’ils sont
mal-heureux d’estre riches !
Et que le
bien leur fait de Mal !
***
Page 8 de
l’ouvrage et 37 du fichier Gallica. Epigramme XIII.
MŒURS INSUPPORTABLES.
Je n’ay
point eu cet appetit
De blasmer
ny grand, ny petit :
J’ay laissé
dire, & laissé faire,
C’estoit mon
humeur en effect.
Mais, bon
Dieu ! qui se pourroit taire
Et voir ce
que le Monde fait ?
***
Page 57 de l’ouvrage
et 62 du fichier Gallica. Epigramme CII.
TEMPS PERDU.
Phillis, j’apprens
à vous connoistre,
L’Amour ne
vous sçauroit toucher,
Et vous
affectez de paroistre
Telle qu’un
arbre, ou qu’un rocher.
Tout le
Temps que je vous ay veuë,
Les soins
que je vous ay rendus,
Par une
absence non preveuë,
Pour vous,
& pour moi, sont perdus.
Cest à quoy
mon cœur se dispose.
Le Sort ne m’est
cruel, ny doux :
Puisque c’est
une mesme chose,
Que d’estre
prés, ou loin de vous.
***
Livre II.
Page 81 de
l’ouvrage et 86 du fichier. Epigramme XXXVI.
JUGES
INCAPABLES.
Nous avons
des Juges estranges.
Loüez-les,
ils sont satisfaits,
Et les plus
mauvaises loüanges
Ont tousjours
les meilleurs effets.
Sans
discerner le caractere
Qui rend les
escrits immortels
Ils sont
dupez d’un faux mystere,
Qui leur
consacre des Autels.
Il n’importe
pas de quel stile
Ces nouveaux
Dieux soient annoncez.
Ceux qui ne
les font que d’argile
En sont les
mieux recompensez.
***
Page 114 de
l’ouvrage et 119 du fichier Gallica. Epigramme XCV.
FAUSSE
ESMERAUDE.
Gardez pour
Jeanne, ou pour Claude,
Cette
trompeuse Esmeraude,
Qui pour moy
n’a point d’appas.
Si j’en dy
ce qui m’en semble,
Vostre
present vous ressemble,
Il paroist
ce qu’il n’est pas.
***
Livre III.
Page 174 de
l’ouvrage et 179 du fichier Gallica. Epigramme XCIV.
LE SIECLE
Aujourd’huy
le Mondes est maraut.
La Coquette,
ny le Badaut,
Ne lisent ni
Prose, ny rime.
On méprise
tous les Autheurs.
Damon, si tu
veux que j’imprime,
Répon-moy de
quelques Lecteurs.
***
Page 180 de
l’ouvrage et 185 du fichier Gallica. Epigramme CIV. Ces vers sont les derniers
du livre.
CETTE VIE N’EST
QU’UNE MORT..
Damon, la
Vie est mal nommée
C’est une
peine accoustumée,
Un mal que l’on
ne peut guerir :
C’est une
mort continuelle,
Et ce que
mourir on appelle
Est plustost
cesser de mourir.
***
[1]
Historiettes. Tallemant des Réaux. Tome 1. Bibliothèque de la Pléïade. 1960.
Pages 552-567.
[2]
Originaux du XVII è siècle. Galerie de Portraits. Paul de Musset. Paris.
Charpentier Libraire-Editeur. 1848. Le Poète Gombauld. Pages 259-286.
[3] Œuvres
Poétiques de Malherbe précédées par La Vie de Malherbe par Racan et suivies Des
Lettres Choisies. Préface de Louis
Molland. Paris. Garnier Frères. 1874. Page 11.
[4]
Anthologie Poétique Française. XVII è siècle. Tome 1. Garnier Flammarion. 1965.
Page 123.
[5]
Historiettes. Tallemant des Réaux. Tome 1. Bibliothèque de la Pléïade. 1960.
Pages 552-567.
[7]
Anthologie Poétique Française. XVII è siècle. Tome 1. Garnier Flammarion. 1965.
Page 123.
[8]
Historiettes. Tallemant des Réaux. Tome 1. Bibliothèque de la Pléïade. 1960.
Page 558.
[9]
Historiettes. Tallemant des Réaux. Tome 1. Bibliothèque de la Pléïade. 1960.
Page 561.
[10]
Historiettes. Tallemant des Réaux. Tome 1. Bibliothèque de la Pléïade. 1960.
Page 558.
[11]
Historiettes. Tallemant des Réaux. Tome 1. Bibliothèque de la Pléïade. 1960.
Page 553.
[12]
Historiettes. Tallemant des Réaux. Tome 1. Bibliothèque de la Pléïade. 1960.
Page 555.
[14]
Historiettes. Tallemant des Réaux. Tome 1. Bibliothèque de la Pléïade. 1960.
Page 566.
[15]
Historiettes. Tallemant des Réaux. Tome 1. Bibliothèque de la Pléïade. 1960.
Page 557.
[16]
Anthologie de la Poésie Française. Marcel Arland. Stock. 1986. Page 839.
[17]
Originaux du XVII è siècle. Galerie de Portraits. Paul de Musset. Paris.
Charpentier Libraire-Editeur. 1848. Le Poète Gombauld. Page 280.
[18]
Anthologie de la Poésie Française. Marcel Arland. Stock. 1986. Page 841.
[19]« Les Epigrammes de
GOMBAULD divisees en trois livres. A Paris chez Augustin Courbe, au Palais, en
la Gallerie des Merciers, à la Palme. 1657. Avec Privilege du Roy. » Ouvrage numérisé accessible sur le site de
Gallica/BNF : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57562m.r=Gombauld%2C%20Jean%20de