jeudi 28 juillet 2016

Jean Ogier de GOMBAUD. (1570?-1666.)



Jean Ogier de GOMBAUD. – Brève Etude.


La pluspart des notes biographiques qui concernent notre poète reprennent  ce que disent de lui les « Historiettes » de Tallemant des Réaux[1], l’ouvrage de Paul de Musset s’en écarte, qui le fait
arriver à Paris en 1606[2] (un an après que Malherbe, 1555-1628, son contemporain y soit lui-même arrivé, convié par Henri IV[3]), à 30 ans pour ceux qui le font naître en 1576 ou 36 ans pour ceux qui lui font voir le jour en 1570[4].

GOMBAUD,  quoiqu’un peu oublié de nos jours, connût la gloire à son époque pour la qualité de ces sonnets.  Selon Tallemant[5] qui, comme Voltaire, ne retient que la valeur de ses épigrammes[6],  il aurait découvert un secret qui  permettait de ne composer que de bons sonnets, secret qu’il n’a pas révélé[7]. Ce n’est d’ailleurs pas le seul secret que, toujours selon Tallemant,  notre poète se serait targué d’avoir découvert : « Il sçait aussi un secret pour jetter son homme à bas à la lutte ; il en sçait un autre pour luy faire sauter le poignard des mains ; mais il ne vous le dira pas. »[8]
Il semble avoir été un homme aussi attaché à la notion d’honneur nobiliaire qu’il était peu courtisan, préférant vivre dans la gêne plutôt que de quémander et n’acceptant qu’avec beaucoup de difficultés une aide financière venue d’un autre que du roi lui-même[9] : « et une fois depuis la Régence, car le feu Roy, après la mort du cardinal de Richelieu, raya de sa main toutes les pensions, on fut contraint de le quester, et après on luy fit accroire qu’on avoit trouvé moyen de toucher cela de l’argent du Roy. ».
« C’est le plus ceremonieux et le plus mysterieux des hommes. Mme de Rambouillet l’appeloit le Beau Tenebreux. » nous rapporte Tallemant[10] ajoutant un peu plus loin, à propos de  cet attachement de GOMBAUD à ce qu’il prétendait être les anciens usages de cour : « et Mme de Rambouillet dit que, quoyqu’il chante de sa vieille cour, les gens n’estoient point faits comme luy, et qu’il a tousjours esté unique en son espece ; »
Quand à l’amour qu’il aurait eu pour la Marie de Médicis, « il nie d’en avoir jamais esté amoureux ; mais bien d’une autre personne de grande qualité qu’il appelle aussi Filis dans ses poésies ; [11]» cependant nous disent les historiettes, un écrivain blésois « nommé du Vivier avoit fait une comédie en vers où il avoit tous les idiomes de France ; le Gascon, qui estoit, comme vous pouvez penser, un capitan, disoit qu’il estoit aimé de toutes les belles ; et parlant des déesses, il dit de la Lune :
Mais elle loge un peu bien haut ;
Et puis je la laisse à Gombaud. [12]»

Il fut élu en 1634 au fauteuil numéro 5 de la jeune Académie Française[13].

GOMBAUD connut une fin d’existence difficile, marquée par les difficultés matérielles,  la maladie et la présence à ses côtés d’une « servante-compagne » qui l’exploitait outrageusement [14] : « Elle le vole, luy a fait faire une declaration que ses meubles ont esté acheptez de l’argent de cette fille, ce qui est faux, et a tiré de luy quelques promesses. Elle est maistresse absolue… » ; il mourut en 1666.

La situation de ce pauvre GOMBAUD vieillissant tombé dans les griffes de « sa » Marie ne peut évidemment que faire évoquer celle que connaîtra, 230 ans plus tard, VERLAINE avec la peu recommandable Eugénie KRANTZ ; un exemple de plus que le sort des poètes est rarement heureux...


Quant à ses vers, voici ce qu’en disent d’une part Tallemant[15] et de l’autre Marcel ARLAND[16] dans son anthologie de la poésie française.

« Ses vers, pour l’ordinaire, ne vont point au cœur ; ils ne sont point naturels : puis il y a grand nombre de sonnets, et pour bien rimer il tire souvent les choses par les cheveux. Ses vers de ballets et ses epigrammes valent mieux ; mais ce qu’il a fait de meilleur en vers et en prose, ce sont ses ouvrages chrestiens. »

« Il y a, chez Jean-Ogier de Gombaud, qui aima Marie de Médicis, je ne sais quoi de chimérique, de hautain et de tendre à la fois qui fait de lui l’un des poètes les plus originaux de son temps. Sans doute, il a trop accordé à sa facilité naturelle, à l’occasion et à la mode. Mais il peut-être gracieux sans fadeur, secret comme Maurice Scève, limpide à l’égal de La Fontaine. Son vers a des mouvements qui tantôt nous ravissent par leur délicatesse, tantôt nous étonnent par leur ferme grandeur. »

En voici deux exemples avec tout d’abord  ce sonnet adressé à la reine Marie de Médicis, alors veuve d’Henri IV et régente du royaume[17].

S’il est vrai que Phillis ne regarde personne
Lorsqu’elle ne voit point l’objet de son amour ;
S’il est vrai qu’elle est seule au milieu de sa cour
Et ne s’aperçoit pas de ce qui l’environne ;

Amant, heureux amant, digne d’une couronne,
Dont ses augustes yeux demandent le retour,
Qui retarde tes pas ? quel aimable séjour, 
Quel pouvoir te retient ? quelle main t’emprisonne ?

Non, tu ne manques pas ni d’amour ni de foi ;
Tu sais bien que Phillis n’a des yeux que pour toi,
Et que chacun se plaint de son indifférence ;

Mais un secret effroi cause tes déplaisirs :
Tu sens que son amour n’a rien que l’apparence ;
Que son cœur est contraire à ses propres désirs.

                               ***


Carite l’autre jour si pompeuse et si belle[18]
De la terre et du ciel montroit tous les trésors ;
Quand je me laissay vaincre aux amoureux transports,
Qui m’en firent prétendre une faveur nouvelle.

Mais j’en fus repoussé d’une main si cruelle,
Et d’un si rude coup je sentis les efforts,
Que mon ombre craintive erra parmy les morts,
Preste à passer le fleuve où le Sort les appelle.

J’eus le pied dans la barque et pour m’en empescher,
Où va don cét Amant ? dit le triste Nocher,
 Quelle main violente au Cocyte le pousse ?

Il porte un Astre au cœur, digne du firmament ;
Et sa flame est si grande, et sa plainte est si douce,
Que l’Enfer n’auroit plus d’ombre ny de tourment.

                               ***



Quant aux épigrammes composées par ce poète, on en trouvera quelques unes ci-dessous, toutes tirées de son ouvrage : « Les Epigrammes de GOMBAULD [19]».

Je reproduis ci-dessous le texte dont GOMBAULD fait  précéder ses vers. Il me semble en effet bien illustrer par son ton le personnage, inhabituel pour son époque, que fut cet homme.

 « Ce n’est que pour passer par tous les genres d’escrire, qu’apres avoir fait d’autres diverses Œuvres, j’ay voulu faire aussi des Epigrammes. On m’a persuadé de les mettre au jour ; mais je n’ay pas le courage de les dedier à personne, non pas mesme de les accompagner de quelque Avertissement. Il semble que ceux qui dedient si volontiers leurs Ouvrages ne cherchent pas tant des Protecteurs, que des Complices de leurs fautes. Ce n’est pas faire des offrandes ; c’est mendier des gratifications. C’est vendre ce qu’on ne doit jamais acheter ; je parle des loüanges que plusieurs reçoivent avec plaisir, & qu’ils ne payent gueres qu’à regret. On veut que je donne des Advis à ceux qui ne se soucient pas d’en recevoir, & à qui mes excuses donneroient, peut-être le moyen de m’accuser davantage. On veut que je rende à la Coustume, ce que je ne croy point devoir à la nécessité. Mais je n’ay rien à dire, sinon ce que l’on eust bien jugé sans que je l’eusse dit. Que ces Epigrammes ne sont pas toutes d’un âge, & que les plus vieilles sont celles qui tiennent le plus de la jeunesse. Que les unes excusent les autres, & qu’elles ne sont faites la pluspart, que pour les bonnes mœurs, ou plustost contre les mauvaises : De telle sorte pourtant que pas un n’en puisse murmurer, à moins que de se declarer coupable. »


Livre I.

Page 3 de l’ouvrage et page 32 du fichier Gallica numérisé correspondant. Epigramme V.

AVARES IMPERTINENTS ET RIDICULES.

Quand je voy si prés du cercueil,
Croistre l’Avarice, & l’Orgueil,
Je croy que le Monde radote.
Esprits du siecle perverty,
Ou vous estes fous à marote,
Ou tous les Sages ont menty.


Page 6 de l’ouvrage et 35 du fichier Gallica. Epigramme IX.

LES RICHES.

Que les Riches ont de procez !
Qu’ils ont de tragiques succez !
Que le Diable leur fait de niches !
Que le tracas leur est fatal !
Qu’ils sont mal-heureux d’estre riches !
Et que le bien leur fait de Mal !

                               ***


Page 8 de l’ouvrage et 37 du fichier Gallica. Epigramme XIII.

MŒURS INSUPPORTABLES.

Je n’ay point eu cet appetit
De blasmer ny grand, ny petit :
J’ay laissé dire, & laissé faire,
C’estoit mon humeur en effect.
Mais, bon Dieu ! qui se pourroit taire
Et voir ce que le Monde fait ?

                               ***


Page 57 de l’ouvrage et  62 du fichier Gallica. Epigramme CII.

TEMPS PERDU.

Phillis, j’apprens à vous connoistre,
L’Amour ne vous sçauroit toucher,
Et vous affectez de paroistre
Telle qu’un arbre, ou qu’un rocher.
Tout le Temps que je vous ay veuë,
Les soins que je vous ay rendus,
Par une absence non preveuë,
Pour vous, & pour moi, sont perdus.
Cest à quoy mon cœur se dispose.
Le Sort ne m’est cruel, ny doux :
Puisque c’est une mesme chose,
Que d’estre prés, ou loin de vous.

                               ***

Livre II.

Page 81 de l’ouvrage et 86 du fichier. Epigramme XXXVI.

JUGES INCAPABLES.

Nous avons des Juges estranges.
Loüez-les, ils sont satisfaits,
Et les plus mauvaises loüanges
Ont tousjours les meilleurs effets.
Sans discerner le caractere
Qui rend les escrits immortels
Ils sont dupez d’un faux mystere,
Qui leur consacre des Autels.
Il n’importe pas de quel stile
Ces nouveaux Dieux soient annoncez.
Ceux qui ne les font que d’argile
En sont les mieux recompensez.

                               ***


Page 114 de l’ouvrage et 119 du fichier Gallica. Epigramme XCV.


FAUSSE ESMERAUDE.

Gardez pour Jeanne, ou pour Claude,
Cette trompeuse Esmeraude,
Qui pour moy n’a point d’appas.
Si j’en dy ce qui m’en semble,
Vostre present vous ressemble,
Il paroist ce qu’il n’est pas.

                               ***

Livre III.


Page 174 de l’ouvrage et 179 du fichier Gallica. Epigramme XCIV.

LE SIECLE

Aujourd’huy le Mondes est maraut.
La Coquette, ny le Badaut,
Ne lisent ni Prose, ny rime.
On méprise tous les Autheurs.
Damon, si tu veux que j’imprime,
Répon-moy de quelques Lecteurs.

                               ***

Page 180 de l’ouvrage et 185 du fichier Gallica. Epigramme CIV. Ces vers sont les derniers du livre.


CETTE VIE N’EST QU’UNE MORT..


Damon, la Vie est mal nommée
C’est une peine accoustumée,
Un mal que l’on ne peut guerir :
C’est une mort continuelle,
Et ce que mourir on appelle
Est plustost cesser de mourir.

                               ***






[1] Historiettes. Tallemant des Réaux. Tome 1. Bibliothèque de la Pléïade. 1960. Pages 552-567.
[2] Originaux du XVII è siècle. Galerie de Portraits. Paul de Musset. Paris. Charpentier Libraire-Editeur. 1848. Le Poète Gombauld. Pages 259-286.
[3] Œuvres Poétiques de Malherbe précédées par La Vie de Malherbe par Racan et suivies Des  Lettres Choisies. Préface de Louis Molland. Paris. Garnier Frères. 1874. Page 11.
[4] Anthologie Poétique Française. XVII è siècle. Tome 1. Garnier Flammarion. 1965. Page 123.
[5] Historiettes. Tallemant des Réaux. Tome 1. Bibliothèque de la Pléïade. 1960. Pages 552-567.
[7] Anthologie Poétique Française. XVII è siècle. Tome 1. Garnier Flammarion. 1965. Page 123.
[8] Historiettes. Tallemant des Réaux. Tome 1. Bibliothèque de la Pléïade. 1960. Page 558.
[9] Historiettes. Tallemant des Réaux. Tome 1. Bibliothèque de la Pléïade. 1960. Page 561.
[10] Historiettes. Tallemant des Réaux. Tome 1. Bibliothèque de la Pléïade. 1960. Page 558.
[11] Historiettes. Tallemant des Réaux. Tome 1. Bibliothèque de la Pléïade. 1960. Page 553.
[12] Historiettes. Tallemant des Réaux. Tome 1. Bibliothèque de la Pléïade. 1960. Page 555.
[14] Historiettes. Tallemant des Réaux. Tome 1. Bibliothèque de la Pléïade. 1960. Page 566.
[15] Historiettes. Tallemant des Réaux. Tome 1. Bibliothèque de la Pléïade. 1960. Page 557.
[16] Anthologie de la Poésie Française. Marcel Arland. Stock. 1986. Page 839.
[17] Originaux du XVII è siècle. Galerie de Portraits. Paul de Musset. Paris. Charpentier Libraire-Editeur. 1848. Le Poète Gombauld. Page 280.
[18] Anthologie de la Poésie Française. Marcel Arland. Stock. 1986. Page 841.
[19]« Les Epigrammes de GOMBAULD divisees en trois livres. A Paris chez Augustin Courbe, au Palais, en la Gallerie des Merciers, à la Palme. 1657. Avec Privilege du Roy. »  Ouvrage numérisé accessible sur le site de Gallica/BNF : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57562m.r=Gombauld%2C%20Jean%20de