En ce dimanche de janvier, un rayon de soleil timide faisait briller les branches nues des grands arbres du parc de l'Élysée.
Mais dans ce matin d'un hiver, somme toute assez doux, le Président
était morose. Avec un sourire amer il se rappelait les paroles du fameux général
romain Nenpeuplus : « Ils sont tous bêtes et je suis leur chef » paroles rapportées
dans un volume bien connu de l'Histoire des Gaules qui traite de la conquête
romaine[1],
et qu'enfant studieux, fils d'une érudition classique, il avait retenu par cœur
depuis les premières années de sa scolarité.
« Ils n'ont rien compris », se répétait-il avec amertume
en évoquant sa dernière mesure concernant la limitation de vitesse sur les
routes à 80 km/h.
« Comment ne voient-ils pas, ce qui se trouve en gestation dans
cette remarquable décision ? »
Il est vrai que de nombreux esprits chagrins, ne manquaient pas de
répandre le bruit ici ou là, dans certains médias et sur les réseaux sociaux,
que le fondement de cette mesure était essentiellement l’appât du gain, ladite
mesure permettant en effet d'augmenter substantiellement le volume des amendes
encourues en utilisant le réseau routier de la république. Mais il en est ainsi
dans notre beau pays où le sens et le goût de la critique remontent à des temps
immémoriaux, nous le savons bien vous et moi. Pour mémoire, rappelons le
célèbre épisode du vase de Soissons, et la décapitation (regrettable) du roi
Louis XVI.
« Comment ne voient-ils pas que cette mesure s'intègre dans un
vaste plan dont la finalité est l'amélioration de l'ensemble des conditions de
vie et des structures économiques de la république ?
Même les moins intelligents d'entre devraient cependant bien
saisir qu'il ne s'agit en la matière que d'un premier pas que d'autres vont
suivre rapidement ! ?
Tous les six mois le premier ministre, en arguant de l’efficacité en
matière de prévention de la mesure précédente, annoncera une nouvelle baisse de
15 km/h de la limitation de vitesse.
Ainsi, dès le milieu de la seconde année de mon quinquennat, nous
en serons à 50 km/h maximum ce qui, outre la diminution drastique du nombre de
morts et de blessés graves sur les routes, nombre qui impacte de manière
défavorable le déficit de notre sécurité sociale à travers les conséquences
hospitalières et médicales de tels accidents, entraînera forcément un rebond spectaculaire
des métiers de bouche et de l'hôtellerie.
Il faudra en effet dans les meilleures conditions, lesquelles ne
seront jamais réunies, car nous n’avons ni la volonté, ni les moyens dans la
conjoncture actuelle d’entretenir, de réparer ou de développer le réseau
routier, un minimum théorique de 20 heures pour relier Strasbourg à Brest, mais
mieux vaudrait compter sur 25 ou 30 heures, ce qui suppose forcément au minimum
un arrêt pour une nuit d'étape, voire deux, et les repas correspondants.
En l'état actuel du réseau ferré, et des infrastructures
aéroportuaires, que nous n'avons ni l'intention ni les moyens non plus de
modifier ou de moderniser, il est bien certain qu'une majorité de voyageurs
sera toujours contrainte d'utiliser la route pour se déplacer, ce qui nous
assure de l'efficacité des mesures prises…
Pour la seconde moitié de ma troisième année de quinquennat, la
limitation de vitesse sera tombée à 20 km/h, et nous pourrons réintroduire sans
difficulté les diligences, ce qui, d'une part, contribuera à augmenter encore
le boom de l'hôtellerie et de la restauration, redynamisera le tissus
socio-économique rural et permettra également de développer de manière
exponentielle l'élevage des chevaux, la profession de maréchal-ferrant, et, de
manière générale, tous les emplois afférents au cheval, à son entretien et à
son utilisation.
Les projections statistiques qui ont pu être effectuées le montre
de la manière la plus formelle, le problème du chômage sera alors quasiment
résolu.
Il le sera d'ailleurs d'autant mieux, que nous encouragerons les
maires de l'ensemble des villes françaises à poursuivre leurs mesures
d'interdiction des centres-villes à toute forme de véhicules automobile et que
nous les y aiderons même, en édictant une mesure prohibant formellement tout
commerce à moins de 10 km de ces centres-villes, ce qui aura le mérite d'une
part de désengorger radicalement ceux-ci, de régler le problème de leur
pollution, et enfin de maintenir une production de véhicules à moteur
importante, facteur d'emploi, puisqu'il sera nécessaire pour le moindre achat
de se déplacer individuellement à distance de son habitat quotidien.
Ajoutons, que le développement de parkings relais spécifiques en
bordure des agglomérations urbaines, parkings comportant des services de
transport de type « alternatif » (charrettes hippomobiles, charrettes à bras,
et autres pousse-pousse…) pour ramener les consommateurs à leur domicile urbain
une fois leurs courses faites, permettra également la création d'un nombre
substantiel d'emploi (sans compter ceux générés par la construction puis l’entretien
et la modernisation de tels parkings).
Comment ne le comprennent-ils pas ? »
Le regard perdu vers le sommet des arbres tutélaires du parc de
l'Élysée, le Président laissa ses traits juvéniles se teinter d'une moue désabusée…
« Ils sont tous bêtes et je suis leur chef… »